Nous vivons dans le monde de l’attachement : il n’y a pas un seul domaine de notre vie qui ne soit concerné par ce phénomène. Même quand nous sommes seuls physiquement, nous ne sommes pas seuls psychiquement, car notre monde intérieur est habité par les liens que nous avons développés durant notre vie. Selon la théorie de l’attachement[1], nous sommes biologiquement programmés pour nous attacher à l’autre, et c’est une question de survie, car l’être humain ne peut se développer sans ce lien soutenant et nourrissant avec l’autre. Les recherches qui ont été faites dans ce domaine[2] ont démontré que les bébés humains se laissent mourir en l’absence de ce lien, même s’ils ne souffrent d’aucune carence matérielle. Pourquoi le lien avec l’autre est-il si important ? Le Dr Steven Porges, auteur de la théorie polyvagale, parle d’un état particulier d’interconnectivité qui est l’état propre à l’être humain : nous sommes connectés aux autres et cette connexion est une source de soutien et d’apaisement. Si cette connexion fonctionne bien dans notre enfance, elle est ensuite intériorisée et devient une base de sécurité interne.
Pour expliquer l’importance de cette base de sécurité , imaginez-vous à bord d’un bateau au large. Face à des intempéries ou des tempêtes, si vous savez que le bateau est solide et que l’équipage est compétent, vous allez vous sentir confiant. Malgré le gros temps, cette confiance dans la robustesse de votre vaisseau permettra de voyager assez paisiblement. En revanche, si vous n’êtes pas sûr que votre navire est suffisamment solide pour résister aux épreuves de la mer ou si vous doutez de l’équipage, vous vous sentirez très fragile tout au long de la traversée. Comment profiter des embellies quand on vit dans la crainte de la tempête ? Ces deux exemples illustrent ce que la théorie de l’attachement appelle l’attachement sécure et l’attachement insécure . Comme dans la métaphore du bateau, les recherches et l’expérience clinique démontrent qu’il y a une grande différence entre une personne dont l’attachement est sécure et une personne qui n’a pas cela. La différence apparaît dans la façon dont la personne aborde les difficultés de la vie, car l’attachement sécure permet d’affronter plus sereinement les situations stressantes. Des études ont démontré également que l’attachement sécure favorise l’aisance sociale, la stabilité de l’attention, la curiosité et la résilience.
La construction de l’attachement commence dès notre naissance, et selon certaines recherches, même in utéro[3]. Si le lien avec les figures d’attachement, les parents ou leurs substituts, ne permet pas la construction de cette base de sécurité, l’enfant développe des stratégies pour pallier son absence dès le plus jeune âge. Ces stratégies relationnelles sont appelées des styles (patterns) d’attachement insécure, et ils restent relativement stables tout au long de notre vie[4]. Il existe trois styles d’attachement insécure : anxieux, évitant et désorganisé[5]. Ces schémas sont des modèles pour toutes les relations à venir et plus particulièrement pour les relations intimes.
A l’âge adulte, c’est notre partenaire amoureux qui devient la figure d’attachement et nous recherchons sa proximité physique et psychique parce qu’il est perçu comme une source de protection, de réconfort et de soutien. Pour expliquer simplement comment l’attachement fonctionne à l’âge adulte, nous pouvons parler de la distance relationnelle, c’est-à-dire de la façon dont nous gérons les situations où notre partenaire s’éloigne et se rapproche de nous. Nous pouvons positionner chaque type d’attachement par rapport à ces deux dimensions. Dans le style d’attachement sécure, la personne gère très bien la proximité et l’éloignement, alors que dans tous les styles d’attachement insécure, la proximité et/ou la distance sont perçues comme menaçantes. Comme nos modèles d’attachements sont issus de nos expériences d’enfance, nous avons peur que les expériences douloureuses voire terrifiantes se répètent. La personne insécure a peur, si elle s’attache vraiment, c’est-à-dire si elle laisse l’autre s’approcher d’elle, de s’exposer à un risque important, car l’autre peut la rejeter ou l’abandonner et lui faire revivre les mêmes angoisse, panique ou effondrement, qu’elle a connus dans son enfance. Dans l’attachement anxieux, la personne aura plutôt tendance à s’agripper à son partenaire pour éviter l’abandon alors que la personne au style d’attachement évitant va garder une certaine distance relationnelle, et c’est la proximité, et non l’éloignement, qui est alors perçue comme menaçante. L’attachement désorganisé est caractérisé par des attitudes contradictoires et incompréhensibles où la personne passe de l’anxiété à l’évitement d’une manière imprévisible pour son partenaire.
Vu son rôle déterminant dans la vie de chacun, le travail sur l’attachement constitue un enjeu majeur pour la thérapie. C’est pourquoi il est fondamental de comprendre les effets des différentes techniques thérapeutiques sur l’attachement. L’efficacité de l’EFT dans le traitement de l’attachement insécure constatée dans la pratique clinique repose sur plusieurs éléments. Tout d’abord, l’EFT est une approche « bottom-up », c’est-à-dire incluant l’expérience non-verbale, psychocorporelle dominée par l’hémisphère droit. Les recherches en neurosciences ont démontré, depuis les dix dernières années, que ces approches sont plus efficaces dans le traitement des traumas de l’attachement, car le socle des schémas d’attachement – les « 3 R », la relation, la régulation des affects et la résilience – est développé avant l’âge de 18 mois, et stocké, hors conscience, dans l’hémisphère droit. L’EFT permet de changer ces schémas précoces : la concentration sur les souvenirs-cibles et la connexion aux ressentis active dans l’hémisphère droit les circuits qui vont ensuite être remodelés grâce à la reconsolidation de la mémoire[6].
Cette reconsolidation est le processus qui permet de modifier les anciens apprentissages sur le plan neuronal. Il est particulièrement adapté pour le changement des modèles d’attachement qui sont des stratégies de survie face aux situations éprouvantes de notre enfance. Pourquoi ces stratégies perdurent-elles à l’âge adulte ? Du point de vue neurologique, le cerveau limbique, et plus spécifiquement l’amygdale, en sont responsables. L’amygdale enregistre toutes les expériences qui sont en lien avec un danger physique ou psychique. Chez l’enfant, à cause de son immaturité, il y aura beaucoup d’expériences qui vont être « classées » par l’amygdale comme dangereuses, parce que l’enfant, quand il est en détresse et ne reçoit pas de réconfort, est vite submergé par son émotion et se sent en insécurité. « Dans un scanner cérébral, la douleur relationnelle – celle causée par l’isolement pendant la punition – peut avoir la même apparence que la violence physique », dit Daniel J. Siegel, un des plus grands experts mondiaux du fonctionnement cérébral de l’enfant. Ces expériences auront ensuite de nombreuses ramifications dans les différentes sphères de la vie, de sorte que toute situation qui rappelle cet état de détresse activera le pattern d’attachement, les réactions d’évitement, d’anxiété ou de désorganisation. A ce moment-là, l’individu régresse à un état archaïque, où il était très jeune, et il perd ses ressources d’adulte qui pourraient l’aider aujourd’hui. C’est pourquoi nous avons parfois du mal à gérer nos sentiments ou nos relations de manière adéquate, même si nous savons comment il faut faire. Nous le comprenons dans la partie de notre cerveau qui peut savoir consciemment, alors que les schémas qui dirigent nos comportements dans la sphère relationnelle sont inconscients et inaccessibles à notre contrôle. L’EFT grâce au mécanisme de reconsolidation de la mémoire permet au cerveau de faire une nouvelle expérience: affronter nos anciens traumas tout en se sentant en sécurité. Les nouveaux circuits neuronaux se forment et se renforcent au fil des séances, car le cerveau apprend de nouvelles stratégies qui correspondent à l’attachement sécure. Les patterns insécures de l’attachement deviennent alors désuets.
L’autre dimension importante des protocoles EFT est liée à la régulation émotionnelle. Les figures d’attachement doivent « filtrer » les éléments qui peuvent être perturbateurs, « non-assimilables » pour le système psychique de l’enfant, et les transformer en éléments « assimilables ». Une expérience est traumatique en raison de son intensité pour l’enfant dont le psychisme n’arrive pas à y faire face, et le cerveau enregistre cet état de submersion émotionnelle comme une situation sans issue. Quand nous revenons sur le souvenir traumatique en séance d’EFT, le fait de tapoter calme la réaction, mais cela permet également au patient – et c’est fondamental – de faire l’expérience de pouvoir affronter ce qu’il n’a pas pu gérer dans son enfance. La personne reprend la main sur ses propres états internes. Elle sort de l’automatisme et du sentiment d’impuissance et découvre qu’elle peut s’autoréguler et trouver les ressources dont elle a besoin.
Enfin, l’efficacité de l’EFT dans ce domaine est liée à son impact positif sur la mentalisation que Peter Fonagy définit comme« la capacité de penser à ses sentiments et de ressentir ses pensées ». La mentalisation se développe dans l’enfance grâce au lien avec les figures de l’attachement qui comprennent les affects de l’enfant et les lui reflètent en y répondant correctement. Elle est compromise dans l’attachement insécure ce qui rend difficile la compréhension des états internes chez soi-même et chez l’autre, et crée beaucoup de confusion dans les relations. Le protocole d’EFT, où le thérapeute reprend les paroles du patient et porte une attention soutenue à ses ressentis, émotions et pensées, facilite la création de l’expérience de se sentir compris et validé, « se sentir senti »[7], qui est indispensable pour le développement de la mentalisation.
Un exemple clinique peut illustrer ces propos. Pierre est un trentenaire, en l’apparence dynamique et jovial. Il a un grand réseau d’amis, il aime voyager et se dit très indépendant. Il a fait des études brillantes qui lui ont ouvert l’accès à des postes intéressants mais n’a jamais pu garder un emploi plus d’un an. Sa demande se situe d’emblée dans le domaine relationnel. Depuis plusieurs mois, il essaie de construire une relation avec une femme qu’il a rencontrée dans une soirée. La jeune femme en question se comporte de façon incohérente : elle est tout feu tout flamme lors de leurs rencontres, régulières mais clairsemées, pourtant, le lendemain matin, elle se montre froide et distante, et elle disparaît pendant plusieurs semaines. Pierre se dit amoureux et prêt à passer le reste de sa vie avec cette femme qu’il voit comme une âme-sœur. Cela ne l’empêche pas de continuer à avoir des aventures grâce aux sites de rencontres qu’il fréquente depuis plus de 5 ans. Ses relations précédentes se sont déroulées selon le même scénario : un amour passionné, mais une fois le désir assouvi, la perte d’intérêt et l’éloignement sont d’autant plus rapides que sa partenaire essaie de le retenir. Pierre est persuadé que, cette fois-ci, il a rencontré la bonne personne et que l’amour va durer. Du point de vue de la théorie de l’attachement, il s’agit d’une tendance désorganisée dans les relations intimes : le rapprochement est perçu comme menaçant, mais la distance est tout aussi mal supportée. Dans l’histoire de Pierre nous retrouvons progressivement les clés qui nous permettent de comprendre son fonctionnement. Son père a trompé sa mère tout au long de leur mariage, avant de la quitter quand Pierre avait 10 ans. Pierre a assisté à leurs disputes violentes, et après la séparation, sa mère lui a demandé de ne pas voir son père, ce « traître », ce que son père a accepté assez facilement. Pierre se rappelle des crises que sa mère faisait devant lui et des longues périodes où elle restait prostrée dans sa chambre : il était terrorisé à l’idée qu’elle se suicide et le laisse tout seul. Le fait de travailler en EFT les situations traumatiques de son enfance a permis de mettre en lumière sa solitude et son impuissance face à l’incapacité de ses parents, malgré leur amour pour lui, à lui offrir un cadre stable, contenant et rassurant. Il est apparu clairement que la stratégie désorganisée était son seul recours face à sa terreur et son désespoir. Travailler sur les traumas de l’attachement en EFT a permis à Pierre de réparer les blessures anciennes et réactualiser sa stratégie relationnelle. Pierre n’a plus besoin de fuir l’intimité parce qu’il n’a plus peur de souffrir si l’autre disparaît ou devient trop envahissant.
[1] La théorie de l’attachement est un courant de psychologie qui étudie le rôle de la relation avec l’autre dans le développement de l’être humain. La théorie de l’attachement a été formalisée par J. Bowlby dans les années 60s.
[2] Voir, par exemple, le travail issu des observations de Dr Chapin sur des enfants « atrophiques » élevés en institution ou le travail de René Spitz sur l’hospitalisme
[3] Les études récentes montrent qu’il y a dès la naissance des préférences assez discrètes du bébé pour ceux qui lui sont familiers ou les personnes familières ; toutes les caractéristiques sensorielles et les interactions avec sa mère sont « enregistrées » pendant la grossesse.
[4] 70% de personnes conservent le même type d’attachement à l’âge adulte qu’à un an.
[5] Il existe d’autres appellations pour chaque type d’attachement. Par exemple, l’attachement anxieux est appelé attachement anxieux ambivalent ou anxieux résistant. L’attachement évitant est appelé aussi attachement anxieux détaché. L’attachement désorganisé peut être appelé attachement désorienté ou chaotique.
[6] Processus par lequel un apprentissage peut être transformé, formant de nouveaux circuits dans le cerveau qui remplacent les voies neuronales anciennes.
[7] Daniel Siegel définit l’expérience de «se sentir senti » (« feeling felt ») comme la condition principale pour le développement de l’attachement sécure